dimanche 17 avril 2011

L’HISTORIOGRAPHIE DE LAURENT GBAGBO (1)

À la différence de l’historien, l’historiographe est un écrivain chargé d’écrire l’histoire officielle d’un peuple ou d’un souverain. Et parce qu’il est employé par ce souverain ou ce peuple, il a tendance à réécrire l’histoire dans une perspective avantageuse et flatteuse. Il faut bien plaire à son maître, au risque de perdre son contrat. Laurent Gbagbo, je l’ai déjà écrit, s’est montré piètre historien en jouant dans la même division que les Slobodan Milosevic, Radovan Karadzic, Charles Taylor, Idi Amin Dada et autres. Il voudrait en revanche que nous fussions cléments avec lui en devenant ses historiographes, afin de peindre son régime et son règne dans une perspective avantageuse, celle d’un grand souverainiste, d’un panafricaniste, d’un combattant contre l’impérialisme, le néo-colonialisme, ou du défenseur de l’Afrique digne, etc. Je vais relever ici ce défi, mais à l’image du mauvais historien qu’il est, je serai son mauvais historiographe.

L’historiographie très officielle de Laurent Gbagbo commence avec la légalisation du multipartisme le 30 avril 1990. Il dirige alors ouvertement le Front Populaire Ivoirien – FPI – et s’allie tour à tour avec les Bernard Zadi Zaourou, Moriféré Bamba et Francis Wodié dans ce qui était la Gauche Démocratique, puis avec le RDR dans le Front Républicain et enfin avec la junte militaire de Robert Guéï. Très vite, il trahit cependant ses camarades de la Gauche Démocratique en se présentant aux élections d’octobre 1990 contre Houphouët-Boigny. Critiqué, il fait mettre une cagoule à Bernard Zadi Zaourou dans son journal, La Voie, comme pour nier son appartenance historique à ce que fut la Gauche Démocratique.

En 1995, il fait alliance cette fois avec le Rassemblement Des Républicains – RDR – dans ce qui devint le Front Républicain. Il fait alors semblant d’être solidaire des tribulations d’Alassane Ouattara. Il incite à un boycott actif de l’élection présidentielle d’octobre 1995, officiellement pour marquer son indignation contre le code électoral taillé sur mesure et qui barrait la route de la candidature à son allié. La Côte d’Ivoire connaît alors ses premiers réfugiés internes, des baoulés fuyant les forêts pour s’entasser au Cafop de Gagnoa. Les plus chanceux y vécurent plus de 6 mois dans des conditions inhumaines, quand les moins chanceux furent tués dans l’anonymat des forêts de Soubré, d’Issia et de Gagnoa.

À la faveur du coup d’État du général Guéï le 24 décembre 1999, Laurent Gbagbo revint du Gabon au galop et salua ce coup de force qui ferait avancer la démocratie et exigea les morceaux les plus viandés du gouvernement – pour parler comme feu Ahmadou Kourouma. Il obtint ainsi entre autres la Fonction publique, l’Éducation nationale, le Budget, la RTI et une place de Conseiller à la Défense. Plus tard, il manœuvra pour obtenir le renvoi du RDR du gouvernement de transition afin de mieux contrôler le général Guéï. Dès lors, Il gère l’Économie et les Finances puis manœuvre encore pour faire invalider toutes les candidatures issues du PDCI et du RDR à l’élection présidentielle d’octobre 2000. Il signe ensuite un pacte avec le général selon lequel il accepterait d’être le Premier Ministre de ce dernier qu’il laisserait gagner. Le général, séduit par cette perspective de devenir Président démocratiquement élu, se laisse avoir. Alors qu’il avait prêté serment le 24 octobre 2000 en qualité de premier Président de la Deuxième République devant Tia Koné, il est contraint de fuir le palais présidentiel le lendemain au profit de son allié qui n’était pas à un reniement près. Laurent Gbagbo prête serment lui aussi en qualité de premier Président de cette même Deuxième République le 25 octobre devant le même Tia Koné !

Le même jour, les militants du RDR manifestent pour réclamer la reprise des élections où leur leader serait autorisé à concourir. Laurent Gbagbo donne l’ordre de les mater : le charnier de Yopougon est alors constitué avec 57 corps découverts le 26 octobre 2000. L’ONU qui a enquêté sur le massacre, désigne nommément les coupables. Ils sont jugés légèrement, blanchis et libérés pour non lieu.

Les 4 et 5 décembre 2000, il mate aussi les militants du RDR qui avaient le toupet de manifester encore une fois contre l’exclusion de leur champion de la liste des candidats à la députation. La boucherie émeut l’ONU qui dépêche une mission d’enquête. Elle établira le bilan à 85 morts, mais comme pour le charnier de Yopougon, il n’y eut personne pour payer pour ces crimes contre l’humanité. Aucun procès n’a eu lieu à ce sujet à ce jour.

Dans le même temps, Laurent Gbagbo auréolé de sa victoire calamiteuse, exige et obtient des syndicats de lui accorder une trêve sociale de 2 ans, lui qui a appris aux Ivoiriens à marcher pour protester ! Pendant ce temps, il organise un forum de la réconciliation nationale en 2001 non pas pour réconcilier les Ivoiriens, mais pour les diviser officiellement et irrémédiablement. Il proclame à la tribune de ce forum que l’article 35 de la Constitution du pays a été écrit expressément pour empêcher Ouattara d’être candidat à une élection en Côte d’Ivoire. Et il jure qu’il en sera ici tant qu’il conserverait le moindre souffle de vie.

Dr Famahan SAMAKÉ
Royaume Uni

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