vendredi 6 avril 2012

Mali/André Silver KONAN: « le putsch le plus débile»

Le journaliste ivoirien  André Silver Konan fait partie des intellectuels africains qui ont fermement condamné le coup d’État du CNRDRE et dénoncent la rébellion touarègue. Il analyse la situation au Mali, en sa qualité de spécialiste de ce pays. Entretien.
Pourquoi êtes-vous aussi dur avec le coup d’Etat au Mali alors qu’une bonne partie de la population est favorable ?
J’ai utilisé en effet des termes particulièrement durs pour qualifier le putsch au Mali. Il ne fait aucun doute, je l’assume et je le répète, que le putsch du capitaine Amadou Haya Sanogo est le plus débile que je n’ai jamais vu. Débile pour quelles raisons ? D’abord parce qu’on était à un mois et une semaine de la présidentielle à laquelle le président Amadou Toumani Touré n’était pas candidat. Ce dernier n’était pas favorable, du moins officiellement, à un candidat et la commission électorale n’était contestée par aucun candidat. La deuxième raison réside dans les raisons avancées pour expliquer le putsch. Sanogo a expliqué qu’il comptait rétablir la démocratie, c’est rigolo, la démocratie n’était pas malmenée au Mali, en atteste notamment la non contestation du processus électoral. En outre, il a déclaré qu’il comptait aller combattre la rébellion, c’était aussi rigolo, puisque seulement trois jours après sa prise de pouvoir, il lançait un appel à la discussion à la rébellion touarègue. C’est exactement ce que faisait ATT. Cette stratégie quoique discutable a permis de contenir la rébellion depuis janvier. La preuve palpable de l’inconséquence de ce putsch du capitaine Sanogo est qu’en moins de trois jours, la rébellion a pris les villes du nord y compris Tombouctou, qui est tombé entre les mains des islamistes alliés aux rebelles.
Mais reconnaissez que ATT a favorisé le putsch contre lui ?
Je ne parlerais pas de favoriser le putsch contre lui. ATT a été naïf en appliquant une sourde et incompréhensible politique de l’autruche, si ce n’est celle du singe de la légende, qui consistait à ne rien voir, rien entendre et rien écouter. J’étais au Mali et j’ai vu à tel point il s’enfermait dans sa tour d’ivoire de Koulouba. En fait, j’ai vite compris son attitude en discutant avec certains ministres. ATT voulait refiler la patate chaude que constituait la rébellion touarègue à son successeur en se gardant de se lancer dans une guerre au cours de laquelle il y aurait eu certainement des bavures qu’il ne voulait pas assumer. Peut-être le cas de Laurent Gbagbo, accusé de crimes de guerre par la CPI a-t-il contribué à cette psychose du président malien ? Toujours est-il qu’il refusait d’entendre la bruyante envie d’en découdre d’une bonne partie des Maliens qui réprouvent violemment la rébellion du MNLA. Sanogo en a profité.
Pourquoi la Cedeao qui était muette par rapport à la rébellion touarègue est devenue subitement active après le coup d’Etat ? Pourquoi n’a-t-elle pas aidé le Mali à combattre la rébellion plus tôt ?
(Rires) Cette question m’a souvent été posée et chaque fois j’ai souri face à la naïveté de certains Africains. C’est la thèse défendue par ceux qui contre leurs propres principes soutiennent le putsch et qui toujours contre leurs propres principes soutiendront la rébellion quand le rouleau compresseur de la communauté internationale va se dérouler contre la rébellion. Les intellectuels ne devraient pas raisonner selon leurs intérêts politiques du moment, mais par rapport à des principes. Un putsch est-il bon ou non ? Non, alors nous ne devons pas soutenir Sanogo, peu importe si c’est Ouattara ou la Cedeao qui affirment leur leadership sur la question. Une rébellion est condamnable ou non ? Elle est condamnable, alors nous ne devons pas applaudir le MNLA, peu importe si elle collabore avec des islamistes qui détiennent des otages français. Pour répondre maintenant à votre question, je vais vous poser une question : la défense de l’intégrité de l’Etat est-elle oui ou non, une question de souveraineté ?
Evidemment une question de souveraineté, mais que voulez-vous démontrer ?
Ce que je veux démontrer est simple. Mater la rébellion touarègue relevait de la responsabilité souveraine de l’Etat malien, mater le putsch relève du devoir d’ingérence de la communauté internationale, parce que le putsch est dirigé justement contre celui qui incarnait la souveraineté, à savoir le général Toumani Touré. Donc, la réaction de la communauté internationale est différente selon qu’il s’agisse d’une rébellion ou d’un coup d’Etat. En clair, le rétablissement de l’intégrité du territoire d’un Etat en proie à une rébellion relève de la souveraineté pleine et entière de cet Etat. Autrement dit, aucun chef d’Etat au monde qu’il s’appelle Barack Obama ou Vladimir Poutine, ne peut se lever dans son pays et dire, sous le prétexte qu’une rébellion menace un autre pays, aller combattre cette rébellion. Si cela était possible, je vous assure qu’il n’y aurait plus de rébellion des FARC en Colombie, encore moins de Boko Haram au Niger ou encore de rébellion casamançaise. A ma connaissance, ATT n’a pas fait appel à la Cedeao ou à l’UA, ou encore à l’Otan et à l’Onu pour mater la rébellion. Et ceux des Maliens qui savent si bien marcher pour soutenir Sanogo (je crois que ça a commencé à cesser depuis la prise de Tombouctou) n’ont pas battu le pavé pour solliciter de l’aide étrangère. Alors au lieu d’accuser les organisations internationales, les Maliens favorables aux putschistes dont on ne voit d’ailleurs aucune action concrète contre la rébellion, auraient dû commencer à accuser leur propre armée, incapable d’avoir maté la rébellion du fait de l’incapacité de son chef suprême, qui appliquait une politique de fuite en avant et du fait d’une junte incapable de tenir ses propres engagements.
Pourquoi la Cedeao n’aide pas l’armée malienne à mater la rébellion ?
La Cedeao aidera l’armée malienne à mater la rébellion quand elle aura un interlocuteur crédible à Bamako, c’est simple à comprendre. La communauté internationale se mobilise pour dégager les putschistes parce que l’ordre constitutionnel et institutionnel est rompu. Ce n’est plus une question de souveraineté puisque celui qui incarne justement cette souveraineté est celui contre qui le putsch est mené. Il est vrai que ATT a sa part de responsabilité mais Sanogo est venu empirer la situation plutôt que de la décanter. Regardez donc la situation en face ! Qu’a-t-il réussi depuis qu’il est là ? Rien, sinon à favoriser une avancée spectaculaire des rebelles qui, plus est, ne le reconnaissent même pas ? Ce type a déclaré qu’il était venu rétablir la démocratie, mais aucune démocratie n’était en danger au Mali puisque ATT en dépit de sa gestion complaisante de la crise, ne tyrannisait pas son peuple. Il a déclaré qu’il était venu mater la rébellion, trois jours après sa prise de pouvoir, il lançait un appel à la négociation à la rébellion. N’est-ce pas ce que faisait ATT et qui a motivé son putsch ? Soyons sérieux. Sanogo dégagera, et alors le président de la transition discutera avec (ou matera) la rébellion avec l’aide des puissances internationales.
Comment expliquez-vous l’attitude de la France qui reste passive face à la progression des rebelles ?
Qu’auriez-vous aimé que la France (un bien vain mot, en réalité) fasse ? Que Nicolas Sarkozy qui a déjà des problèmes pour se faire réélire décide unilatéralement d’aller mater la rébellion touarègue ou que François Hollande qui n’est pas encore élu se déclare favorable à une intervention militaire ? N’est-ce pas encore vous qui dénonceriez l’interventionnisme du colon qui se fait gendarme de l’Afrique ? En tant qu’Africains, nous devons arrêter de nous infantiliser. Nous sommes prompts à accuser la France qui quoiqu’elle fasse (qu’elle condamne ou non, qu’elle intervienne ou non, qu’elle observe la neutralité ou non) est insultée par ceux qui cherchent à nier leurs propres responsabilités. Au départ, j’ai entendu des plaisantins déclarer que c’était un coup d’Etat de la France. Quand la Cedeao qu’ils accusent d’ailleurs à raison d’être à la solde de la France s’est lancée en guerre contre les putschistes, ils ont dit qu’en fait, la France était derrière la rébellion, parce que des porte-paroles de la rébellion sont en France. Ils oublient aussi que la France est un pays de liberté et que la Mauritanie aussi qui combat Aqmi, allié des rebelles, accueille aussi des porte-paroles de la rébellion. Quand la France a décidé de saisir le conseil de sécurité et qu’on leur a déclaré que les combattants islamistes alliés des rebelles détenaient des otages français, ces mêmes intellectuels douteux ont commencé à dire que la France est entrée en guerre. Des fois, je ris de l’inconstance de ces gens là. Bref. Nous les africains, on doit vraiment savoir ce qu’on veut. La France a six ressortissants retenus en otage dans le désert malien par des combattants d’Aqmi, alliés (et peut-être futurs adversaires) des rebelles. Même si elle avait la possibilité de se jeter directement dans la guerre, elle serait prudente pour ne pas mettre en danger la vie de ses ressortissants. C’est ce que ferait tout gouvernement responsable. Pour le reste, je reconnais que la crise actuelle résulte d’une mauvaise gestion de la crise libyenne par l’Otan, mais aussi par les pays africains dont les voisins de la Lybie comme le Mali.
Réalisée par Mahamadou Traoré
Source: La Tribune – Lebanco.net

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