samedi 18 décembre 2010

L’armée ivoirienne au cœur de la rivalité


L’armée ivoirienne au cœur de la rivalité entre Gbagbo et Ouattara

Enjeu majeur du duel que se livrent Gbagbo et Ouattara, l’armée régulière reste majoritairement fidèle au premier. Mais le camp Ouattara mise sur les dissensions au sein des troupes pour changer la donne.
Il s’en est fallu de peu, lundi 13 décembre, pour que le quartier chic de Cocody ne devienne la première scène d’un affrontement armé entre les Forces nouvelles (FN, ex-rébellion) fidèles à Alassane Ouattara et l’armée régulière rangée derrière Laurent Gbagbo.

Vers 11h30 (heure d’Abidjan), l’unique route menant à l’hôtel du Golf – où est retranché le

gouvernement d’Alassane Ouattara depuis le 7 décembre – est bloquée par des barrages. Au moins une cinquantaine d’hommes les tiennent, notamment des membres de la Brigade anti-émeutes et des bérets rouges de la Garde républicaine (GR), fidèles à Laurent Gbagbo. Face à eux, l’entrée de l’hôtel est solidement gardée par des éléments des FN et des casques bleus de l’Onuci.
La tension monte jusqu’au moment où des soldats de la GR tentent de se rapprocher de l’hôtel. Une jeep des FN vient à leur rencontre et des coups de feu sont tirés. Des tirs de sommation, en fait, destinés à les repousser. Le calme ne reviendra qu’après plusieurs heures et l’intervention du représentant de l'ONU en Côte d'Ivoire, Choi Young-jin.

Les deux hommes forts de Gbagbo

Ce face-à-face militaire tendu est loin d’être un hasard, à un moment où la crise politique se creuse en Côte d’Ivoire et où l’armée se retrouve au centre du duel entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. L’enjeu, pour Gbagbo : conserver la fidélité des troupes où des dissensions se font sentir et calmer les ardeurs de ceux qui aimeraient en découdre avec les FN. Le défi de Ouattara : faire reconnaître sa légitimité à une armée qui doit beaucoup à Gbagbo et, si possible, la rallier à son nom.

À écouter le camp Gbagbo, l’armée régulière ivoirienne est "légitimiste" : elle soutient celui qui règne sur le pays depuis 10 ans. Laurent Gbagbo semble en effet pouvoir compter sur la fidélité de deux hommes-clés du dispositif militaire : les généraux Bruno Dogbo Blé et Philippe Mangou. Le premier, commandant de la Garde républicaine, doit sa carrière à Gbagbo, qui lui a renouvelé sa confiance en août dernier. Ancien de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr (France), Bruno Dogbo Blé dirige la GR depuis dix ans et a été nommé en 2005 commandant militaire du palais présidentiel. En un mot, il gère le dernier cercle destiné à protéger Laurent Gbagbo.

D’après l’opposition, Bruno Dogbo Blé est derrière la démonstration de force de lundi devant l’hôtel du Golf. Le général avait en quelque sorte signé son geste le vendredi 10 décembre lors d’un discours très martial donné devant ses troupes : "Des gens se sont retranchés à l'hôtel du Golf et, chaque jour, s'emploient à discréditer la Côte d'Ivoire. Mais il faut songer à les déloger et libérer l'hôtel", déclarait-il dans un tonnerre d'applaudissements.

Philippe Mangou sait, lui aussi, galvaniser ses troupes et attiser la fibre nationaliste de l’armée. Ancien porte-parole des Forces armées de Côte d’Ivoire (Fanci), commandant des opérations militaires contre la rébellion du Nord (2002) puis chef d’état major (2004), il conseillait dimanche "à nos frères des Forces impartiales [Onuci et Licorne] de ne plus jamais avoir sur leurs mains le sang des Ivoiriens" lors d’une tournée des casernes d’Abidjan.

Un avertissement en direction du représentant de l’ONU, Choi Young-jin, et une allusion claire aux évènements de novembre 2004, lorsque l’armée française avait détruit une partie de l’aviation ivoirienne et ouvert le feu sur de Jeunes patriotes.

La peur des défections

Mais ce qui préoccupe le plus les deux généraux, c’est d’éviter que de hauts responsables de l’armée ne passent dans le camp adverse, comme cela avait été le cas en 2002, lorsque des sous-officiers loyalistes avaient fait défection et rejoint la rébellion. "Je vous demande de mettre hors d’état de nuire, par tous les moyens, tout individu qui tentera de détourner l’un d’entre vous", lançait récemment Bruno Dogbo Blé à ses troupes. Car malgré l’apparente unité et la fidélité témoignée à Laurent Gbagbo par les plus hauts responsables militaires ivoiriens, l’armée est "aussi divisée que les politiciens", comme l’expliquait lundi un journaliste ivoirien à l’AFP.

Le camp Ouattara le sait, qui tente de rallier sous sa bannière les officiers qui doutent de la capacité de Laurent Gbagbo à se maintenir au pouvoir. C’est le sens de l’appel lancé jeudi dernier dans un communiqué par Guillaume Soro, qui a appelé les Forces de défense et de sécurité (FDS) ivoiriennes à se placer sous l’autorité d’Alassane Ouattara. "On a été contacté par plusieurs officiers. C’est clair que ce n’est pas toute l’armée qui soutient Gbagbo", renchérissait lundi des proches de Soro. Ils savent qu’ils peuvent, quoi qu’il en soit, compter sur les troupes des Forces nouvelles, qui tiennent le Nord du pays et se sont déployées dans certaines zones d’Abidjan, notamment autour de l’hôtel du Golf.

Du côté de Laurent Gbagbo, on accuse des puissances étrangères de favoriser ce rapprochement entre des militaires et le camp Ouattara. Mais on sait bien que ce ralliement sera difficile : Gbagbo n’a pas son pareil pour mobiliser ses troupes sur une base nationaliste. Il a su fidéliser, par des récompenses et des promotions, les éléments-clés de son dispositif sécuritaire. Surtout, il a multiplié les corps armés depuis 2002, créant des brigades qui lui sont entièrement dévouées. Le Cecos par exemple (Centre de commandement des opérations de sécurité), une unité créée en 2005 pour lutter contre l’insécurité, mais qui a peu à peu pris une place centrale sur l'échiquier militaire du pouvoir.
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