Monsieur le président, vous avez, depuis le vendredi 27 janvier 2012, une nouvelle responsabilité au Congrès national de la résistance pour la démocratie (Cnrd). Vous en êtes le 1er vice-président «au pouvoir renforcé». Que devient le Cnrd aujourd’hui ?
Depuis l’épilogue de la crise post-électorale, on s’est dispersé. Nous avons voulu savoir où en était le Cnrd. Quels sont ceux qui ont pu rester en Côte d’Ivoire, quels sont ceux qui sont sortis ? Cette réunion nous a permis de constater que la quinzaine de partis qui constituent le Cnrd étaient représentés. Les chefs, parfois, étaient absents. Ils sont parmi ceux qui sont en exil ou en prison. Mais nous avons pu faire le point, et surtout voir quel rôle nous pouvons jouer dans la nouvelle situation. Comme je le leur ai dit, lorsqu’une situation change, il faut savoir changer son fusil d’épaule. Le Président Houphouët-Boigny exprimait la même chose quand il disait : «La politique, c’est la bonne appréciation des réalités, bonnes ou mauvaises». Fort de cet enseignement, j’ai pensé que le Cnrd qui est la plate-forme des partis de l’opposition, aujourd’hui, pourrait établir un pont avec le pouvoir. Parce qu’on ne peut pas rester les bras croisés. Quand on dit que l’opposition refuse le dialogue, de participer…, cela est nuisible à notre pays. On ne doit pas cesser d’aimer son pays parce qu’on n’est plus au pouvoir. Il y a des gens qui disent qu’ils aiment la Côte d’Ivoire seulement quand ils sont au pouvoir. Tel n’est pas mon cas. Moi j’aime la Côte d’Ivoire tout le temps. Jour et nuit. Et c’est le disciple d’Houphouët qui parle. Je suis un non-violent. Je ne suis pas un provocateur. Et je ne serai jamais un destructeur. Quel que soit l’avenir.
Est-ce cette marque que vous voulez imprimer à la marche du Cnrd?
Il m’a paru nécessaire de penser à construire une opposition forte, responsable, crédible et respectable. Cette opposition doit saisir la main tendue du pouvoir. Pour le dialogue. Même dans les pays les plus démocratiques, le pouvoir consulte, quand cela est nécessaire, les chefs d’opposition, de partis ou de syndicats. Cela ne veut pas dire qu’ils croient tous la même chose. Non, l’opposition continue. Mais s’opposer, ce n’est pas empêcher le pouvoir de travailler. S’opposer, ce n’est pas provoquer la violence avec le pouvoir en place. Je suis prêt à servir de courroie entre le pouvoir actuel, où je connais beaucoup de responsables y compris le Chef de l’Etat (nous avons travaillé tous les deux aux côtés d’Houphouët-Boigny), et notre coalition. Pour tout ce qui s’est passé, l’histoire nous jugera. Mais je ne ferai rien pour empêcher le pouvoir en place de travailler. Mieux, sans être membre du pouvoir, tout ce que je peux faire pour faciliter le dialogue, le retour à la paix et de la confiance, entre Ivoiriens, je le ferai. Et je pense que le Cnrd peut me servir d’instrument pour le faire. C’est pourquoi j’ai accepté ces responsabilités. Je rappelle que j’étais déjà vice-président du Cnrd.
Qu’est-ce qui change justement?
Ce qui change, c’est que j’étais un vice-président sans pouvoir. Tout comme les autres vice-présidents. Notre organisation a décidé de donner des pouvoirs au 1er vice-président. Pour lui permettre de soutenir le doyen Bernard Dadié qui a 96 ans. Ce n’est pas à lui qu’on va demander d’aller présider des réunions, un meeting, etc. Je crois que c’est ce que nous avons essayé de mettre en place. Nous continuons à considérer le doyen comme l’incarnation de la moralité et de la crédibilité de notre organisation. Mais, en même temps, nous voulons être actifs et opérationnels. D’où tous les pouvoirs qu’on m’a donnés. La seconde chose qui a changé, c’est le secrétariat général. L’ex-Première dame (Simone Gbagbo), en sa qualité de militante, était secrétaire général. Nous avons donc demandé à son parti de nous fournir un secrétaire général pour la remplacer. C’est ce qui a été fait. D’où l’arrivée de Marthe Agoh, ancienne vice-présidente de l’Assemblée nationale.
Je pense que cette armature nous permettra de saisir la main tendue du pouvoir.
Le Cnrd, c’est la coalition de plusieurs partis. êtes-vous suivi? Sont-ce les radicaux ou les tempérés qui dominent?
Il est trop tôt pour dire qui domine. Mais je pense qu’avec le temps, vous vous en rendrez compte. Nous venons de mettre en place la nouvelle structure. Je viens d’avoir des pouvoirs que je n’ai pas encore commencé à exercer. Je pense que lorsqu’on est non-violent, on peut réussir beaucoup de choses. Parce que pour obtenir ce qu’on demande, il faut savoir le demander. Je suis pour une opposition responsable, c’est-à-dire une opposition sans belligérance. Une opposition qui souhaite parler avec le pouvoir dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire. Et je pense que les différents partis qui restent autonomes doivent accepter, lorsqu’ils viennent au Cnrd, la position médiane de celui-ci qui est pour une opposition pacifique. Je suis contre la violence, d’où qu’elle vienne. C’est pourquoi je condamne ce qui s’est passé à Yopougon, le jour du meeting du Fpi. Mais pour qu’il n’y ait pas violence, il faut éviter la provocation.
Vous voulez une opposition forte, responsable…et non-violente. Peut-on dire que le Cnrd
acceptera d’entrer dans le prochain gouvernement?
Je ne vois pas le problème sous cet angle-là. être dans l’opposition, accepter le pouvoir qui est en place, ne veut pas dire nécessairement qu’on entre dans le gouvernement. Le Président Laurent Gbagbo disait : «Ceux qui ont gagné gouvernent. L’opposition s’oppose, le gouvernement gouverne». Je crois que si le pouvoir pense qu’il y a des intelligences, des capacités dans l’opposition qui peuvent lui être utiles, alors il peut demander si ces cerveaux-là peuvent entrer dans le gouvernement. Mais ce que je ne veux pas, c’est entrer au gouvernement et travailler contre lui. Je suis contre cette manière de faire. Je n’ai jamais vu un gouvernement dont les membres s’opposent au Chef de l’Etat et cherchent à nuire à ce gouvernement. C’est-à-dire faire en sorte que le résultat soit négatif. Je ne proposerai jamais quelqu’un qui irait au gouvernement avec cette intention. C’est pourquoi pour moi, la paix ne signifie pas nécessairement gouverner ensemble. Il y a des propositions faites par l’opposition qui peuvent être utiles au pays. Le pouvoir peut en tenir compte. C’est pour cela qu’on consulte les chefs de partis dans les grands pays.
Regrettez-vous le fait de n’avoir pas participé aux législatives du 11 décembre dernier, quand on sait que le Rpp, votre parti, rêvait d’avoir son groupeparlementaire?
Je dois dire que j’ai déploré qu’on ne soit pas allés, librement, aux élections législatives. Je n’étais pas en Côte d’Ivoire lorsque cette décision avait été prise. Mais je n’y adhérais pas entièrement. Quand je suis arrivé, j’ai réuni mon parti et comme je connaissais des candidats déclarés en notre sein depuis longtemps, je leur ai dit : il faut à la fois montrer à nos amis de l’opposition que nous sommes solidaires de leur position, mais en même temps, ceux qui avaient pris leurs dispositions depuis longtemps pour se présenter aux élections, je les autorise à le faire. Mais avec l’étiquette d’indépendants. C’est-à-dire qu’ils prennent leurs responsabilités. S’ils gagnent et qu’ils veulent rester avec nous, ils déclarent, par écrit, au Conseil constitutionnel ou à la Commission électorale indépendante (Cei) qu’ils rejoignent le Rpp, en tant que députés. Nous avons eu trois ou quatre élus indépendants. Nous attendons de voir tous ceux qui ont été élus dans ces conditions-là confirmer leur désir de rester au Rpp. Mais, comme vous l’aviez dit, si on nous tous avais tous permis d’aller aux élections, notre objectif aurait été d’avoir des députés à l’Assemblée nationale et d’avoir accès au financement des partis.
Au moment où certains observateurs politiques voyaient votre retour au Pdci-Rda, parti du Président Houphouët-Boigny dont vous êtes un disciple, vous choisissez d’être au premier plan du Cnrd. Peut-on en déduire que vous avez oublié votre maître?
Je n’ai pas oublié mon maître Houphouët-Boigny et je ne l’oublierai jamais. Quels que soient l’avenir et ma position. J’ai été formé à ses côtés. Il m’a fait la plus grande confiance pendant près de 20 ans. J’ai fait toutes les missions possibles et inimaginables ; celle de l’Afrique du Sud, par exemple ( en 1974, il y avait effectué, en compagnie de son épouse de race blanche, une mission, à la demande du Président Houphouët, pour montrer aux Sud-Africains confrontés à l’apartheid, l’exemple d’un couple mixte. Ndlr). J’ai dirigé son parti en tant que secrétaire général pendant 10 ans et président par intérim pendant deux ans. Je ne l’oublierai jamais. D’ailleurs tout ce que je fais aujourd’hui, c’est lui qui me l’a appris. La non-violence, l’appréciation des réalités, savoir changer son fusil d’épaule, par exemple tout cela vient d’Houphouët-Boigny. N’oubliez pas que le Rda avait été créé à Bamako, en 1946, pour combattre le colon, libérer les Africains pour recouvrer la liberté confisquée et l’honneur bafoué. Je crois que si l’on soustrait la période post-électorale qui a été difficile, le reste du combat de Gbagbo était, pour moi, dans cette ligne : la liberté en Côte d’Ivoire.
La décennie passée, on parlait de non-immixtion, de non-ingérence, de l’aide non liée, etc. Aujourd’hui, depuis la mondialisation, c’est tout à fait le contraire. On parle de droit d’ingérence, de devoir d’immixtion, sous le couvert de venir protéger les civils. Les Grands font ce qu’ils veulent. Je crois que ce combat-là se fera. Puisque c’est un combat que le Président Houphouët-Boigny avait prévu. Il avait dit : «L’indépendance que j’ai obtenue en 1960 dans l’amitié, avec l’ancien colonisateur, n’est pas la vraie indépendance. C’est une indépendance nominale, politique. La vraie indépendance viendra plus tard. Mais vous aurez à la conquérir parce que ce sera la guerre des intérêts».
Houphouët disait aussi ceci : «Si vous voulez réussir, formez la jeunesse pour qu’elle maîtrise les technologies. Pour pouvoir parler, demain, d’égal à égal, avec celles des pays développés». Donc si vous pensez que cela existe, on peut penser qu’un national ne partage pas ce point de vue. Peut-être que la manière ou le moment de le faire peut changer, cela dépend des individus. Mais l’objectif, quel que soit le Président, je pense, est que demain, la Côte d’Ivoire soit totalement libre de ses choix politiques, économiques et même monétaires.
Revenons au Cnrd. Animer une si grande plate-forme nécessite de grands moyens. Le Cnrd a-t-il les moyens de sa politique?
Le Cnrd n’a pas les moyens de sa politique aujourd’hui ; mais il peut les avoir après. Lorsque le Président Gbagbo et la Première dame étaient là, ils étaient les soutiens du Cnrd. On peut dire que le Cnrd n’avait pas de problème. Aujourd’hui, en effet, c’est difficile. J’ai même appris que le gardien du siège n’est pas payé depuis 10 mois. Il s’en plaint d’ailleurs et il a raison. Le seul parti membre du Cnrd qui a accès au financement des partis, conformément à la loi, c’est le Fpi. Et en tant que tel, il aidait le Cnrd. Aujourd’hui, le Fpi ne pourra plus continuer seul à faire tout cela. C’est pourquoi l’une de mes propositions est que des partis membres s’engagent à cotiser. Puisque c’est une plate-forme commune, on peut demander que chaque parti verse, par exemple, 100.000 ou même 200.000 francs Cfa. Ainsi, même si le Fpi venait à aider, on aurait une petite caisse à nous, propre au Cnrd. On ne peut pas vouloir réaliser un idéal aussi noble et important que la paix, le dialogue et ne peut payer le prix qu’il faut. J’affirme aujourd’hui qu’on travaille difficilement. Mais j’ai bon espoir que cette proposition sera adoptée et que finalement, on cotisera pour faire vivre le Cnrd.
Vous avez, tout à l’heure, longuement parlé de votre intention de ne pas gêner le pouvoir et donc de l’aider à aller de l’avant. Quelles sont vos relations avec lui? Sentez-vous qu’il ya une réceptivité à vos propositions?
Je pense qu’au Cnrd, je suis, sans orgueil ni vanité, le responsable le mieux placé pour saisir la main tendue du pouvoir pour la paix et la réconciliation. Pourquoi ? Parce que ceux qui sont au pouvoir me connaissent bien pour avoir travaillé avec eux. Nous avons travaillé ensemble autour du Président Houphouët-Boigny qui, d’ailleurs, disait à l’époque qu’il avait deux cannes : une, le Premier ministre (Alassane Ouattara) à droite et le secrétaire général du Pdci (Fologo) à gauche. Il y a quand même des liens qu’on ne peut nier. Même si l’histoire n’a pas voulu qu’on soit forcément du même côté. Par conséquent, je pense que, sachant qu’en général je me considère comme un homme sincère, honnête vis-à-vis de ses choix et constant par rapport aux enseignements d’Houphouët-Boigny, je peux être utile à l’opposition de Côte d’Ivoire. Pour faciliter ses relations avec le pouvoir en place. Parce que quel que soit l’avenir ou le Président, la voie démocratique oblige le pouvoir à parler avec l’opposition. Je regrette qu’il y ait encore des esprits un peu chauds, mais je pense que progressivement, on se rendra à l’évidence qui est qu’aujourd’hui, il y a un pouvoir en place. Et nous voulons que les Ivoiriens retrouvent la sécurité, la paix et la confiance. Eux qui ont payé cher les troubles de ces dix dernières années. En ce qui me concerne, je ne serai jamais du côté de ceux qui provoqueraient de nouveaux troubles pour ramener la souffrance chez les Ivoiriens. J’ai entendu parler des gens qu’on a arrêtés à la frontière du Liberia. Vrai ou faux? Moi, je veux que le pays avance et que dans cinq ans, le peuple juge par des élections que j’espère, non armées.
INTERVIEW REALISEE PAR
EMMANUEL KOUASSI
Source:fratmat.info
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire