samedi 12 mars 2011

Dans Abobo, sous le contrôle du «commando invisible»

Le Figaro
REPORTAGE – Des combats ont lieu chaque jour dans cette cité d’Abidjan, fief des partisans d’Alassane Ouattara.


Passé le portail de fer gris qui clôture cette ruelle de terre battue, on en viendrait presque à douter qu’Abobo vit depuis bientôt deux mois au rythme des affrontements entre partisans du président élu, Alassane Ouattara, et forces de l’ordre loyales à Laurent Gbagbo. Au pied des baraques coiffées de tôle, une ribambelle d’enfants gambade au milieu des chèvres tandis que des femmes au regard las vaquent aux tâches ménagères. Dans la pénombre de la pièce à vivre, les hommes de la famille Koné devisent avec gravité de l’avenir de la Côte d’Ivoire et saluent le «courage» d’Alassane Ouattara. «Même si c’est risqué pour lui, il a eu raison de se rendre à Addis Abeba pour y rencontrer les chefs d’État de l’Union africaine», estime un ami de la famille, Abou Kourouma. Lorsque, soudain, des coups de feu claquent à l’extérieur, Tesse, le patriarche, se penche machinalement sur sa montre. «11 heures, lâche-t-il, consterné. Ils n’attendent même plus le début d’après-midi pour commencer à tirer.»

Théâtre d’une insurrection qui ne cesse de prendre de l’ampleur malgré la répression opérée par les Forces de défense et de sécurité, l’immense bidonville d’Abobo, situé dans la banlieue nord d’Abidjan, semble par la force des choses s’être accoutumé à ces combats quotidiens. Pour y pénétrer, il faut franchir un premier barrage tenu par de jeunes supporteurs encagoulés d’Alassane Ouattara puis zigzaguer entre les épaves de voiture calcinées. «Les contrôles sont assurés par les petits mais les soldats du commando invisible ne sont jamais bien loin, prêts à intervenir en cas de problème», assurent la population. À l’entendre, ces combattants issus des Forces nouvelles, qui occupent la moitié nord du pays depuis la tentative de coup d’État du 19 septembre 2002, auraient discrètement gagné Abobo au cours des dernières semaines afin d’y harceler la police de Laurent Gbagbo.

L’espoir d’une solution diplomatique

«Nous ne nous laisserons pas tuer sans résister par les hommes de Gbagbo», justifie Tesse Koné, qui se dit « très fatigué » par l’interminable crise postélectorale imposée à la Côte d’Ivoire. Comme la majorité des habitants de ce faubourg tentaculaire, ce chauffeur routier est un ardent partisan d’Alassane Ouattara, dont l’élection a été reconnue par les Nations unies. «Gbagbo doit partir», plaide aussi son fils, Lassina. Le menuisier Driss Fofana, venu en voisin, espère quant à lui que «la situation va vite se débloquer». «Voici presque un mois que je ne suis pas allé travailler à cause des combats», s’inquiète-t-il. Sur les murs d’une épicerie située cent mètres plus loin, plusieurs dizaines d’impacts de balle témoignent des combats qui ont récemment embrasé le quartier. Exaspérés par l’attitude de Laurent Gbagbo, qui se cramponne au pouvoir depuis l’élection du 28 novembre, Tesse Koné et ses amis veulent encore croire à une solution diplomatique. Peu importe, à leurs yeux, que le camp Gbagbo ait rejeté jeudi les propositions formulées par l’Union africaine à Addis Abeba. «L’essentiel, c’est que l’élection d’Alassane Ouattara ait été reconnue par les autres chefs d’État africains», jure Lassina.

L’interdiction faite aux hélicoptères de l’Onuci et de la force française Licorne de survoler le sol ivoirien, dernière trouvaille en date du camp Gbagbo, ne semble pas davantage émouvoir les habitants d’Abobo. «On sait que Gbagbo ne sera pas assez stupide pour faire tirer sur un appareil de l’ONU», rigole Fofana. Comme lui, les responsables de l’Onuci semblent ne pas prendre les menaces du président sortant très au sérieux. Jeudi, l’ONU a annoncé son intention de poursuivre ses vols normalement, tandis que Paris jugeait la décision du président sortant «nulle et non avenue».

Par Cyrille Louis
De notre envoyé spécial à Abidjan
Par Cyrille Louis
11/03/2011 |

© Copyright Le Figaro
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L`horreur à "Bagdad", ou la guerre au coeur d`Abidjan (Reportage)

ABIDJAN - Des hommes, encagoulés ou non, souvent armés, fouillent les véhicules à un barrage: bienvenue à Abobo, alias "Bagdad", quartier nord d`Abidjan devenu zone de guerre après des semaines de combats entre insurgés et forces loyales au président ivoirien sortant Laurent Gbagbo.

Le "commando invisible", comme il se fait appeler, se voit à l`oeil nu.

A ce barrage fait de carcasses de voitures, de barres de fer et de tables,
des insurgés, vêtus de treillis ou en civil, inspectent les coffres.
On aperçoit la lame d`un couteau ou le bout d`un fusil qui dépasse d`une chemise
ou d`un tee-shirt, mais d`autres tiennent bien en vue une Kalachnikov.

En ce vendredi, les fouilles sont particulièrement strictes. "Cette nuit,
on a été attaqués par les FDS", les Forces de défense et de sécurité fidèles à
M. Gbagbo, dit sèchement l`un d`eux.

Une fois le barrage passé, un habitant raconte: "il y a un obus qui est
tombé dans une cour à Marley", un "sous-quartier" d`Abobo.


Dans une concession faite de plusieurs petites maisons construites autour
d`une cour commune, le toit d`une habitation a été défoncé. Des gravats
jonchent le sol, des traces de sang restent sur des rideaux, un matelas. Sur
une natte gît le corps sans vie d`une fillette de 12 ans, Karidja.

"Ils ont tué ma fille, ma maman est blessée, ma petite soeur est blessée",
dit Toumoutou Dosso d`une voix tremblante, accusant les FDS.

Les six autres membres de sa famille qui se trouvaient dans la maison de
deux pièces "ont été blessés", indique un oncle. Sans cesse, des voisins
viennent présenter leurs condoléances.

"Hier (jeudi), ça a tiré de 23H30 (locales et GMT) à 4H00, on n`a pas
dormi", témoigne Ali, un apprenti-chauffeur de 22 ans.

Mais à quelques pas de là, les événements de la veille semblent déjà loin,
et "Bagdad" a des airs de bourgade.

Des jeunes devisent tranquillement sur une terrasse. Des vieux font de même
de l`autre côté de la route asphaltée.

Des femmes sont assises derrière leurs étals de légumes. Ateliers de
couture, blanchisserie et boutiques de commerçants mauritaniens sont tous
ouverts. Des enfants courent et jouent au ballon en criant.

Mais soudain cette quiétude est troublée par un, puis deux tirs à l`arme
lourde. Une fumée noire se lève depuis les environs de la gare, à quelques
minutes de là à pied.

A ce bruit puissant, les vendeuses du marché de Marley se pressent pour
ranger leurs affaires, mais se ravisent dès que les tirs cessent. Personne ne
demande l`origine des tirs, désormais quotidiens, d`un camp ou de l`autre.

"Les tirs ici, nous sommes habitués, on sait que la souffrance que nous
vivons aujourd`hui, c`est pour Alassane. Donc pour cela nous n`avons pas peur,
on est obligé d`accepter, parce que quand tu veux quelque chose il faut aller
jusqu`au bout", dit posément l`une d`elles, Amy Traoré, foulard jaune noué
autour de la tête.

"La nuit, quand on entend les tirs on se lève, on fait les ablutions et on
prie pour qu`on s`en sorte. Tous les jours que Dieu fait, il y a des tirs. Si
tu ne peux pas vivre avec les tirs, tu t`en vas d`ici", lance Amy, qui
n`envisage pas une seconde de partir.

Hervé, lui, n`a eu d`autre choix que de fuir Abobo. Habitant d`Anonkoi, une
enclave réputée pro-Gbagbo au coeur d`Abobo, il n`a pas attendu l`assaut
meurtrier du début de la semaine sur ce village pour gagner un autre quartier.

"Les rebelles sont dans le village, tout le monde a fui", indique-t-il.
"Etre réfugié dans son propre pays, c`est impensable".

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