Depuis le mardi 29 novembre 2011, Laurent Gbagbo, l’ex-président ivoirien, dort dans les geôles de la Cour pénale internationale (CPI). Son transfèrement, aussi rapide que surprenant, est sujet à polémique. Faut-il vraiment être surpris, eu égard au cheminement politique peu orthodoxe du natif de Mama ?
Jamais le parcours d’un homme politique n’aura été parsemé de tant d’emprisonnements. Laurent Koudou Gbagbo est né le 31 mai 1945. Enfant turbulent, il défiait ses parents en affectionnant l’école buissonnière. Son assiduité intervient lorsque son père le soumet à la discipline d’une école laïque, le petit séminaire Saint-Dominique Savio de Gagnoa.
Agé d’une vingtaine d’années, le "Woody de Mama" connaît sa première incarcération, à son retour de France où il était pour des études. En effet, lors des vacances dans son village, il est pris dans une banale dispute après un match de football. Libéré, koudou repart en France en 1966 pour suivre des cours de lettres à Lyon.
Il participe à des réunions politiques sur l’Afrique. Désireux d’étudier l’histoire, il revient en Côte d’Ivoire et s’inscrit à l’université nationale. Puis milite à l’Union nationale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (UNEECI). Le mouvement est dissout par le président Houphouët-Boigny. Une grève est déclenchée par les membres. Et nouvel emprisonnement du jeune Gbagbo.
De retour au pays, le futur député de Ouragahio enseigne l’histoire-géographie au lycée classique d’Abidjan. Quelques mois auront suffit pour faire parler de lui dans l’établissement. Koudou a une altercation avec la fille de l’ambassadeur d’Israël. Menacé d’expulsion, le professeur obtient le soutien de ses collègues.
Le 31 mars 1971, Laurent Gbagbo est interpellé dans les locaux de l’Assemblée nationale. Motif : il dit s’être rendu pour plaider "la cause du peuple". Mais quelle cause ? On ne sait pas. Son incarcération se mue en enrôlement forcé. Il est envoyé à Akouédo. Puis à Séguéla, dans le Nord-Ouest. Enfin à Bouaké, où il fait la connaissance de Robert Guéï, alors capitaine.
Dès sa libération, en janvier 1973, il reprend ses activités politiques clandestines. Après la soutenance de sa thèse de doctorat, en 1978, il milite au sein du Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (SYNARES), qui multiplie grèves et gestes de défiance à l’égard du régime.
En 1982, Gbagbo organise des réunions secrètes avec un petit groupe, dans un appartement à Cocody. Les bases du futur Front populaire ivoiriens (FPI) ainsi posées. En mars de la même année, ses camarades le convainquent de s’exiler en France. Il est alors la cible de la Direction de la surveillance du territoire (DST), qui lui reproche d’être le principal artisan du "complot des enseignants" attribué au SYNARES.
L’année 1990 marque le retour du multipartisme en Côte d’Ivoire. A l’instar des jeunesses africaines, les jeunes ivoiriens veulent le changement. Laurent Gbagbo saisit l’occasion pour dresser les étudiants contre Houphouët-Boigny. La Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) naît des cendres du Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (MEECI). Une naissance faite dans le sang. L’étudiant Thierry Zébié est crapuleusement tué à la cité Mermoz.
Depuis lors, les membres de la FESCI ont fait des cités et campus universitaires du pays des sanctuaires du crime. Plusieurs assassinats enregistrés, dont celui du jeune Dodo Habib, pendu. Sous le régime Gbagbo, le hooliganisme étudiant a atteint son paroxysme.
Le 18 février 1992, l’ancien professeur de lycée est à nouveau arrêté et écroué à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) par le gouvernement du Premier ministre Alassane Ouattara. A l’appel du leader du FPI, des milliers de jeunes descendent dans les rues et mettent à feu et à sang la capitale économique. Pourtant, cette marche s’est voulue pacifique.
Trois ans plus tard, et après avoir refusé de participer à l’élection présidentielle, le même Gbagbo appelle au boycott du scrutin. Le "boycott actif" prend un caractère insurrectionnel. Des édifices publics incendiés, des agents des forces de l’ordre tués ou blessés...
Le 24 décembre 1999, la Côte d’Ivoire connaît son premier coup d’Etat. Surprise : Laurent Gbagbo, qui a toujours refusé d’entrer dans le gouvernement d’un régime démocratiquement élu, accepte d’être aux côtés des putschistes. Les ministres FPI co-animent le gouvernement du général Robert Gueï jusqu’aux élections de 2000.
En octobre 2000, Koudou, le "père de la démocratie ivoirienne", ravit le pouvoir du général putschiste. Dans quelles conditions ? En appelant derechef ses partisans à descendre dans les rues. La marche fait des dizaines de morts (découverte du charnier de Yopougon).
Avec le psychanalyste Sigmund Freud, on sait que l’Homme tient de son enfance les caractères de sa personnalité adulte. En somme, nous sommes notre passé. Notre passé nous suit comme notre ombre. « L’enfant est le père de l’Homme », dit Wordsworth. Le comportement de l’adulte est fonction de ce qu’a été son enfance.
Inutile de chercher de midi à quatorze heures : le destin de Laurent Gbagbo est tracé par son enfance tumultueuse et son parcours politique chaotique. Du point de vue de la psychologie, tout indique qu’il se sent mieux dans les fers (en prison). C’est un homme violent de caractère, qui aime se faire humilier. Rustre dans son comportement, aucune finesse dans son langage. Belliqueux dans l’âme, il aime le sang, la guerre. Rien d’étonnant si des milliers d’Ivoiriens sont tués sous sa présidence.
Sous le mandat Gbagbo, la Côte d’Ivoire a connu deux guerres. Le pays aurait pu faire l’économie de la partition, si le natif de Mama avait accepté de négocier avec les insurgés, aux premières heures du 19 septembre 2002. « Entrer en négociation avec des assaillants pour leur demander de déposer les armes, c’est déjà les reconnaître, les légitimer […]. Je ne peux pas accepter cela », message à la nation, 8 octobre 2002.
Ce conflit de 28 jours a fait plus de morts en zone gouvernementale qu’il n’en a fait en territoires assiégés. Assassinats gratuits (escadrons de la mort), journalistes tués (Jean Hélène, Guy André Kieffer,…), des dizaines de jeunes gens conduits à la mort ou handicapés à vie dans des marches insensées, orchestrées par l’activiste Blé Goudé.
Et s’il avait accepté sa défaite à la présidentielle de novembre 2010 ? L’historien serait entré dans l’Histoire. Aimant les histoires, il s’est battu contre tous. Résultat : environ 3 000 morts. Une attitude aux antipodes de son discours de prestation de serment, dans l’après-midi du 26 octobre 2000, devant les diplomates et les représentants des corps constitués : « Je veux lutter contre l’idée qui veut que l’on n’organise pas des élections de peur de les perdre. Les grands pays développés sont développés parce que, chez eux, ils organisent des élections et ils les perdent ».
Autre contraste : « Ce que la démocratie apporte de nouveau et de supérieur à tous les régimes qui l’ont précédée, c’est que dans le système de la démocratie, on peut quitter le pouvoir sans mourir. Et on peut accéder au pouvoir sans tuer », message du 8 octobre 2002. Le fils de Marguerite Gado est entré dans l’Histoire, mais de mauvaise manière. Puisqu’il est le premier Ivoirien et le premier ancien chef d’Etat au monde à être livré à la CPI.
Accomplissement des prophéties de Blaise Compaoré et d’Alassane Ouattara. « Gbagbo finira devant la CPI », disait le président du Faso, en 2002. Févier dernier, reclus à l’hôtel du Golf, le leader du Rassemblement des républicains (RDR) prophétisait : « Gbagbo tombera comme un fruit pourri ».
Triste point de chute pour un homme maudit. Une fin de règne honteuse que les pasteurs, prophètes de malheurs, n’ont pas prédite pour l’ancien député de Ouragahio. Justice pour ses nombreuses victimes.
Ossène Ouattara
echosduzanzan.ivoire-blog.com
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